L’Estonie vient d’inaugurer ce qui est présenté comme le premier réseau national de recharge rapide pour véhicules électriques dans le monde. Le réseau compte 165 stations de recharge rapide placés stratégiquement dans différentes zones urbaines du pays comptant au moins 5 000 habitants et aux abords des
principaux axes routiers.
Aucune station de recharge n’est éloignée de plus de 60 km l’une de l’autre (cela semble peu mais en électrique cela représente une longue distance !).
Cela constitue « la plus forte concentration de chargeurs en courant continu d’Europe… Disposer d’un réseau national de recharge rapide encouragera les automobilistes à passer aux véhicules électriques, et cela motivera d’autres pays à investir dans leur propre infrastructure de recharge », a déclaré Ulrich Spiesshofer, dirigeant de la branche automatisation d’ABB.
Rappelons que le financement du réseau ainsi que des 507 Mitsubishi i-MiEV provient de la vente de 10 millions de crédits carbone à Mitsubishi le 3 Mars 2011.
Sur les 650 voitures électriques officiellement en circulation (sources?), environ 500 ont donc été allouées par le gouvernent à des fonctionnaires, forçant ainsi en quelque sorte leur utilisation. D’autant plus qu'à date, seulement 125 applications pour profiter de l’aide d’Etat (50% sur l’achat d’un modèle électrique) ont été remplies et 76 satisfaites. On en vient donc à relativiser l’optimisme du Ministre estonien de l’environnement, Keit Pentus-Rosimannus, qui déclarait : « Le fait que la recharge soit si facile est une des principales raisons pour lesquelles de plus en plus d’Estoniens opteront pour les voitures électriques dans l’avenir ».
Attendons de voir les chiffres après le lancement officiel. Cependant j’ai personnellement de très gros doutes sur le succès de l’électrique en Estonie malgré les avantages que présente le pays en termes de distances, favorisant la faible autonomie de ces véhicules. Alors, Uu Tallinn-Tartu en 4 heures (au lieu de 2h), ça vous tente? C’est pourtant ce qui vous attend (dans le meilleur des cas) en hiver avec une voiture électrique.
1/ Le réseau semble plutôt bien pensé mais rechercher les bornes dans la ‘vraie vie’ ressemblera à mon avis plus à une partie de cache-cache que de plaisir. Par ailleurs, quid de la recharge a la maison? Quel est l’équipement proposé aujourd'hui et surtout, qui peut se l’offrir ?
2/ La rapidité de recharge et l’autonomie. L’électrique c’est beau mais il faut vraiment être soit à la retraite soit en vacances : 30 minutes pour recharge son véhicule a 80%. Ajoutez à cela une autonomie ridicule et vous allez devoir rallonger considérablement vos durées de trajet.
Selon les modèles l’autonomie d’une voiture électrique chargée à 100% est de 60 à 180 km, 150 km en général.
Concrètement, vous venez de faire une recharge rapide à 80%, vous disposez donc de 120 km d’autonomie au départ de Tallinn. A 126 km se trouve une station de recharge à Poltsama, sauf que vous risquez fortement de tomber en panne avant cela… il faudra donc vous arrêter à Nurmsi par exemple, au km 95. Je vous passe l'épisode de la recherche stressante de la borne... 30 minutes plus tard, votre batterie est chargée à 80% et vous voilà avec 120 km de plus dans les roues.
Par temps normal (20 degrés est la température de fonctionnement idéal pour une batterie) vous devriez pouvoir rallier Tartu. Cependant, par temps frais (ce qui est le cas la majorité de l'année en Estonie) vous allez considérablement réduire votre autonomie et par temps hivernal (-20 degrés), vous devrez même couper le chauffage (lire ce témoignage et bien d'autres sur la toile) et probablement vous arrêter tous les 50 km (et encore je suis optimiste)… ça sent le trajet cauchemar quand même ! Et heureusement que l’Estonie est un petit pays...
IMPORTANT: par -5 degrés, l'autonomie de votre véhicule est réduite de 25% tandis que le chauffage interne réquisitionnera prés de 60% de la charge de la batterie !
3/ Le calvaire n’est pas terminé puisqu’à cela il faut ajouter une dégradation de la batterie dans le temps, comptez 20% de perte après 5 ans dans des conditions normales. Cela s’annonce donc bien pire dans des conditions estoniennes.
Et voilà le type de calvaire qui vous attend !! La voiture testée dans la vidéo est celle qui a été 'offerte' aux fonctionnaires.
4/ L’Etat offre une aide non négligeable de 50% sur l’achat d’un véhicule électrique neuf. C'est généreux mais les prix de l’électrique sont bien au-dessus des tarifs d’un véhicule classique. Comptez 29 700 euros pour une Citroën Ion, donc 14 850 euros avec l’aide. Un tarif bien au-dessus d’un équivalent essence, par exemple la Chevrolet Spark, disponible à partir de 10 000 euros. Il vous faudra donc un certain nombres d’années, de kilomètres donc de recharges et d’histoires cauchemardesques avant d’amortir votre achat.
5/ Le choix de l’environnement ? Là encore l’argument ne tient pas, du moins pas en Estonie ou l’électricité provient à 90% de schistes bitumineux et donc extrêmement polluants !
6/ Etre aussi optimiste que le ministre de l’environnement estonien c’est aussi afficher une totale méconnaissance du marché estonien. Regardez 5 minutes le type de voitures qui se promènent dans les rues. Nous ne sommes pas en France oú l’on roule (en général) économique en petites citadines. Ici, grosses berlines et SUV se promènent allègrement dans les rues de la capitale. Croyez-vous vraiment que ces personnes aient envisagé ne serait-ce qu'une second de passer à l’électrique ? Je n’y crois pas. Essayez de passer d’un Audi Q7 à une Toyota IQ… pas vraiment la même voiture ni la même clientèle.
Bien sûr il y a surement un marché en Estonie, une mini-niche de citadins n'utilisant leur voiture que pour des petits trajets, habitant proche d'une borne de recharge, possédant un garage et ne roulant que l'été. Si c'est ça le grand succès annoncé...
Les 6 points précédents annoncent simplement un échec couru d’avance (bah oui c’était le titre du post) et qui semble simplement être une belle campagne marketing pour l’Estonie et ABB.
Pour l’Estonie, qui continue à travailler son image de pays a la pointe de la technologie et de l’innovation.
Pour ABB, l’opportunité, a l’échelle d’un pays miniature, de prouver que construire un réseau national est possible et donc d’inciter d’autres pays à se lancer dans l’aventure.
Alors, l'électrique, ça vous tente?